Inside the Publishing Revolution – The Adobe Story
Pamela Pfiffner - Adobe press, 256 pages - 2003
N'y voyez pas une provocation de ma part, mais il m'a semblé intéressant, vu les débats Apple / Adobe qui bruissent ces derniers jours sur la blogosphère, de pousser sous les spotlights ce bouquin que j'ai lu il y a quelques mois, découvert grâce à l'excellent Peter Gabor.
Il s'agit d'une chronologie de l'histoire d'Adobe, des prémices à 2003 pour être précis (et donc bien avant qu'on ne cloue Flash au pilori).
Bon, soyons clair, je ne peux pas m'ôter de la tête que ce livre est un tout petit peu pro-Adobe, bien que Mme Pfiffner ait également de bonnes raisons d'aimer Apple (elle a travaillé chez MacWeek, MacUser, Publish…), mais pour accéder au saint du saint des archives adobiennes, pouvoir interviewer les grands patrons, et être finalement édité par Adobe Press, il était préférable que la charge ne soit pas trop lourde.
Malgré cela, je pense que c'est tout de même un très bon livre.
Premièrement, parce qu'il remet en perspective l'émergence de la Publication Assisté par Ordinateur (plus communément appelée PAO) et son influence sur le monde du graphisme, de l'imprimerie et de la communication en général. On y voit, aux travers des yeux d'Adobe, les grands acteurs de l'époque apparaître, évoluer, grandir, s'allier, se battre, réussir, disparaître… C'est d'ailleurs assez fascinant de voir le contexte de l'apparition des premières fontes PostScript, les interrogations sans fin liées à l'usage de l'informatique pour produire des mises-en-page, les défis techniques posés et la façon de les résoudre, les différentes personnalités qui entrent en scène, devenues célèbres pour certaines ou tombées dans l'oubli pour d'autres (qui se souvient de M. Seybold?), etc.
La deuxième raison, c'est que ce livre est tout simplement bien fichu : bien documenté, chouette iconographie, bien maqueté, belle impression, très agréable à lire… bien qu'il soit en anglais.
…et une anecdote
Je ne vais pas vous narrer par le menu l'histoire de la PAO, ceux qui l'ont vécue le font bien mieux que moi (clin d'œil appuyé au maître de céans), mais pour illustrer l'esprit un peu "C'était le temps des pionniers" qui anime ce bouquin, j'en tire une anecdote de circonstance, qui m'a beaucoup plu… : Fin 82, début 83, Adobe, avec sa technologie PostScript bien au point, réfléchit aux moyens d'en tirer parti. L'idée qui prédomine est de créer des sortes de petites boutiques-imprimeries équipées de PCs et d'imprimantes Laser exploitant la dite technologie, afin de permettre à n'importe quel quidam de venir faire imprimer à moindre coût et en petites quantités ce que bon lui semble. Oui oui, vous avez bien lu ; Adobe songeait à se développer autour d'un service proche de ce que nous connaissons aujourd'hui avec, par exemple, CopyTop. Bref, ils se dirigeaient vers un système de petites structures de Service adossées à du Software propriétaire (le PostScript) et du Hardware (des PCs et des imprimantes).
Au printemps 83, Warnock et Geschke rencontrent Steve Jobs, justement pour discuter technologie, PostScript, Laserwriter, interface graphique, le nouveau Lisa, et tout le toutim… Apple a le vent en poupe, à ce moment-là : nous sommes à deux doigts de la sortie du premier Macintosh.
Après la réunion du matin, ils vont déjeuner tous ensemble dans un restau, à Cupertino. Durant le repas, Jobs réagit aux projets d'Adobe (les imprimeries), en disant (selon la légende) : "I don't need the computer. I don't need the printer. I need the software". En gros, Jobs convainc les dirigeants d'Adobe de laisser tomber leur idée d'imprimeries locales, pour devenir exclusivement une Software Company, en licenciant PostScript à Apple (qui possède déjà un savoir-faire en matière de Desktop Computer et d'imprimante laser).
Et c'est évidemment ce qu'Adobe fera : avec PostScript installé sur ses Macs et sa Laserwriter, Apple a pu proposer les toutes premières stations de Desktop Publishing. C'est en quelque sorte ce déjeuner fondateur entre Adobe et Apple qui a lancé la révolution de la Publication Assistée par Ordinateur…
La suite est connue, grâce aux succès des Macs et de la Laserwriter, Adobe est allé trouver les grands fondeurs pour leur proposer de redessiner leur fontes au format PostScript et c'est un gros contrat avec Linotype qui a déclenché la ruée des autres fonderies vers cette nouvelle technologie, transformant PostScript en première poule aux œufs d'or pour Adobe (je vous laisse le soin de deviner quelle fut la suivante, de poule…).
Bon, il est évidemment possible qu'Adobe aurait pensé à licencier Postscript après s'être cassé les dents avec ses imprimeries-copytopesques, mais c'est amusant de noter, une fois de plus, qu'un certain visionnaire était passé par là…
En filigrane, apparaissent d'ailleurs, ça et là dans le livre, les interrogations des responsables d'Adobe quant à la direction que prend l'entreprise à certains moments de son existence, et aux difficultés qu'elle a à se créer une identité par rapport aux évolutions rapides du monde de la communication (le web, la vidéo, etc.).
Tiens, ça me fait penser qu'il y a d'ailleurs une bonne anecdote concernant Quark et le lancement du projet InDesign, mais je ne voudrais pas vous gâcher la lecture à l'avance !
Bref, pour ceux qui s'intéressent à l'histoire du graphisme 'papier' sous l'angle des technologies, ce bouquin est certainement un must-have.
Vous pouvez lire ici l'article de Peter Gabor, bien documenté et illustré (quelques extraits du livre sont également sont dispos).
Et si vous avez l'occasion de vous l'offrir, précipitez-vous, car il n'est pas certain que ça soit réédité un jour…




