La longue route
37 455 milles sans toucher terre
Et, paradoxe, comme pour vagabond des mers, ce fac-similé rend le récit haletant, s'additionne à la simplicité du style comme à cette autre leçon de vie que nous offre Bernard Moitessier… Loin des effets graphiques qu'apportent de superbes mises en pages sur des récits d’aventuriers contemporains, c'est le texte seul qui nous happe comme échappé d'une bouteille à la mer…
Pourtant, si l'on y réfléchit quelques secondes, pourquoi perdre du temps à une lire une histoire assez banale en regard des exploits médiatisés et quasi-quotidiens d'aujourd'hui, ces aventures où la moindre confidence, coup de cafard, problème technique du sportif sponsorisé nous est distillé à longueur de journaux télévisés ou radiophoniques. Pratiquement en direct…
Parti de Plymouth le 22 août 1968 pour faire le tour du monde en solitaire, Moitessier et ses copains se lancèrent à l'époque sans GPS, sans panneaux solaires, sans radio-téléphone…
Et sans aucune assistance. Une course inconcevable désormais.
La seule solution pour donner de ses nouvelles était alors de passer pas trop loin des ports ou de gros navires. En espérant être signalé à l'organisateur de la course, le Sunday Times. Pour transmettre le courrier et des paquets de pellicule, Moitessier s'approchait en risquant sa peau et son bateau des cargos et balançait — à l'aide de son lance-pierre fabriqué maison — sa missive sur le pont de ces derniers. En priant pour qu'un marin s'en saisisse alors et fasse suivre au prochain mouillage… Cette course, nous l'avions suivi en complet différé. Personne ne savait réellement où se situaient les concurrents et s'ils étaient encore en vie au moment où nous parvenaient de leurs nouvelles…
Si vous êtes encore en train de lire ce billet, c'est que cette histoire n'est pas si banale en définitive.
La longue route, c'est le journal de bord d'un marin qui navigue seul sur son voilier. Ce sont ses pensées pour son bateau, ses proches, son épouse Françoise, ses mômes, ses copains de course qui ne sont pas perçus comme des adversaires. C'est le quotidien des coups de vent, des réparations, des moyennes réalisées. C'est la cuisine autant que l'esprit qui vagabonde avec la mer à perte de vue…Et des moments magiques comme cette mouette qui vient dormir sur son genou, les étoiles, les poissons volants…
Après son tour du monde, après le Horn, au lieu de remonter vers le nord récupérer son prix, Moitessier double à nouveau le Cap de bonne espérance qu'il avait passé 5 mois plus tôt, longe la Tasmanie et file vers Tahiti. Il y arrivera le 21 juin 1969, quasiment 10 mois après son départ de Plymouth après avoir parcouru près de 37 455 milles (69 367 kilomètres terrestres). 10 mois en solitaire. Tous les pourquoi de son abandon sont en filigrane dans ce livre.
Seul Robin Knox-Johnston est revenu en Angleterre pour couper la ligne d'arrivée et empocher le prix du Golden Globe Challenge. Il fût même anobli par la Reine quelques années après. Paradoxalement, cette victoire méritée de Robin sur son petit bateau tout comme le suicide de Donald Crowhurst furent éclipsés par l'abandon a priori incompréhensible de Moitessier pourtant en tête sur Joshua.
Bref, c'est cette véritable histoire que je vous engage à feuilleter… Celle d'un gars qui décide de ne pas perdre son âme, qui fait un bras d'honneur à une récompense largement méritée pour ne pas se perdre. À méditer même dans notre univers terrestre quotidien… Et s'interroger sur ces honneurs qui enchaînent, ces promotions qui coupent les ailes…
Moitessier nous livre ici sa réponse.
La longue route

Bernard Moitessier
Éditions Arthaud
9782700396546 | 20 €
