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Chagrin d’école

Daniel Pennac

dans lire
par Jean-Christophe Courte

Vous, Pennacchioni, le BEPC ? Vous ne l'aurez jamais ! Vous m'entendez ? Jamais !

Ceux qui ont été de bons élèves ou, tout simplement, des sujets passables aux résultats fleuretant avec la moyenne n'éprouveront peut être pas beaucoup d'intérêt pour ce bouquin. Des cancres, ils en ont rencontré mais c'était généralement l'autre, celui qui faisait rire par son incapacité à répondre à une question évidente pour tous ; celui que tout le monde finissait par oublier au fond de la classe…

Aussi j'ai été très surpris de découvrir que j'avais un point commun avec cet auteur.
Le fait est. Je n'imprimais pas, comme disent les jeunes gens d'aujourd'hui. Je ne captais ni n'imprimais. Les mots les plus simples perdaient leur substance dès que l'on me demandait de les envisager comme objet de connaissance. Si je devais apprendre une leçon sur le massif du Jura, par exemple (…), ce petit mot de deux syllabes se décomposait aussitôt (…). Il ne représentait plus rien. Jura, me disais-je, Jura ? Jura… Et je répétais le mot inlassablement, comme un enfant qui n'en finît pas de mâcher, mâcher et ne pas avaler, répéter et ne pas assimiler, jusqu'à la totale décomposition du goût et du sens, mâcher, répéter, Jura, Jura, jura, jura, jus, rat, jus ra ju ra ju ra jurajurajura, jusqu'à ce que le mot devienne une masse sonore indéfinie, sans le plus petit reliquat de sens, un bruit pâteux d'ivrogne dans une cervelle spongieuse…

Je n'oublie pas cette impression de syncope, de vertige qui m'envahissait pendant de tels interrogatoires. Jusqu’à ne plus entendre les rires comme les remarques amusées du professeur… Quand à la question, elle s'était dissoute. Les joues brûlantes, je m'écroulais sur mon banc, attendant que le cyclone change de place et atteigne un autre élève. M'épargne.
Nous étions une bonne bande de gamins en échec, de "nuls". La pension où nous avions échoué était le dernier recours pour nos parents qui nous oubliaient là pour une semaine ou un trimestre, au mieux…!
Malgré des carnets inconsistants, année après année, nous progressions sur notre chemin de croix scolaire. L'enseignement mercenaire avait au moins cela de bon.

Des sauveurs comme ceux que décrit Pennac, j'en ai rencontré une demi-douzaine. Des profs sans préjugés qui trouvaient le truc pour nous captiver…

Je pense particulièrement à Monsieur G, un prof d'histoire qui nous la racontait à la manière de >Claude Manceron, alimentant de mille anecdotes la "grande histoire"… Complices, nous avions deviné une fêlure, le laissions descendre ses "Kro" pendant les cours, cannettes qui s'entre-choquaient dans les poches de sa veste fatiguée. Les plus proches de la porte surveillaient un possible passage discret du surgé, un ancien militaire. Ou de l'Abbé Bolla, aisément identifiable avec sa jambe de bois.…!

Hormis ces souvenirs de cancre, tout le bouquin est savoureux, humain, drôle. J'ai particulièrement apprécié ses réflexions ironiques sur les objets et les marques, sur la place inconsidérée de Mère-Grand Marketing…! Mais également découvert son travail remarquable avec ses élèves.

En finissant hier soir la rédaction ce court billet, j'ai entendu à la radio que ce livre avait reçu le prix Renaudot alors qu'il n'était pas dans la liste des ouvrages retenus. C'est largement mérité, plongez votre nez dans ses pages pour vous en convaincre et, surtout, faites fi des critiques négatives des premiers de la classe…!

Chagrin d'école image
Daniel Pennac
Gallimard
9782070769179 | 19 €

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le 06/11/2007 à 06:30 | .(JavaScript must be enabled to view this email address) à Jean-Christophe Courte | #