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Avant que nature meure…

Jean Dorst

dans dans mon bocal | groummphh | potager
par Jean-Christophe Courte

Avant, je me souviens que ça vrombissait sec dans le jardin. Que l’air bruissait des vols pesants des butineuses chargées de pollen, que l’on devrait même élever la voix pour s’entendre…! Que des manèges incessants se déroulaient dans le Végélia, la Spirée, le Deutzia

C’était quand ce avant…?

Trois ans, cinq ans…

Depuis, le silence s’abat peu-à-peu sur les bords de chemin comme dans les jardins… Tiens, aujourd’hui, en me baladant dans le parc de Versailles, cette même absence de trucs à ailes… Soudainement il me semble voir enfin une butineuse en circulant à vélo…

Ah, enfin…!
Ah, enfin…!

Sauf que…

Mortelle étreinte…
Mortelle étreinte…

Alors, oui je suis tombé sur quelques insectes dont celui-ci…

De face…
De face…
De côté…
De côté…
De dos…
De dos…

Mais bon, où sont les abeilles…?

En échangeant il y a un bon mois avec l’ami Pierre-Henri par Mail, nos constats sur le monde qui vient m’ont remis en mémoire un livre reçu tout gamin pour mon anniversaire. C’était avant que avant que nature meure de Jean Dorst, paru en 1965 mais dont je possède l’édition de décembre 1971, édité chez Delachaux et Niestlé. Je pense que c’est suite à la lecture de ce livre et après avoir vu Soleil vert que ma vision du monde s’est modifiée.

Sauf que ce que je pensais impossible alors, improbable, se déroule sous mes yeux. Je cite Dorst via ces extraits trouvés sur ce site qu’il me semble nécessaire de parcourir…

Si l’on envisage l’histoire du globe, l’apparition de l’homme prend aux yeux des biologistes la même signification que les grands cataclysmes à l’échelle du temps géologique. A l’époque contemporaine la situation atteint un niveau de gravité inégalé. Tous les phénomènes auxquels l’homme est mêlé se déroulent à une vitesse accélérée et à un rythme qui les rend presque incontrôlables. L’homme dilapide d’un cœur léger les ressources non renouvelables, ce qui risque de provoquer la ruine de la civilisation actuelle. Les ressources renouvelables, celles que nous tirons du monde vivant, sont gaspillées avec une prodigalité déconcertante, ce qui est encore plus grave : l’homme peut se passer de tout, sauf de manger. Il manifeste un véritable culte à l’égard de la technique que nous croyons dorénavant capable de résoudre tous nos problèmes sans le secours du milieu dans lequel ont vécu des générations nombreuses. Beaucoup de nos contemporains estiment de ce fait qu’ils sont en droit de couper les ponts avec le passé. Le vieux pacte qui unissait l’homme à la nature a été brisé. Nous sommes néanmoins en droit de nous interroger sur la valeur universelle d’une civilisation technique appliquant aux esprits et à la matière des lois dont le bien-fondé n’a été vérifié que dans des cas particuliers.

Couverture dorigine…
Couverture d’origine…

Ou encore…

L’extension des villes se fait souvent au détriment d’excellentes terres agricoles. Aucune des grandes agglomérations ne peut, et ne pourra jamais plus constituer une communauté humaine. La vie des citadins est devenue une vie en commun, puis une existence concentrationnaire. Les hommes ont dorénavant à choisir entre un encasernement dans des « boîtes à loger » ou l’hébergement dans de petites maisons individuelles implantées de plus en plus loin de leur lieu de travail. L’énergie dilapidée en pure perte dépasse toute évaluation. Même si l’homme arrive à se sustenter, les problèmes psychologiques posés par son grouillement demeureront entiers. Le bien-être matériel de l’humanité, mais aussi sa dignité et sa culture, sont compromis dans leurs fondements.

La survie et la prospérité de l’ensemble des communautés biotiques terrestres dépendent en définitive de la mince strate qui forme la couche la plus superficielle des terres. Il existe une érosion accélérée consécutive à une mauvaise gestion du sol dont l’homme est l’unique responsable. La morphogenèse anthropique affecte gravement la fertilité par perte de substances et par transformation de la structure physique, chimique et biologique des sols. L’homme a même empiété sur des terres marginales, sans vocation agricole, et dont l’équilibre ne peut être assuré que par le maintien des biocénoses naturelles. Il y a eu déboisement, perturbations dans le régime des fleuves, destruction des habitats aquatiques, abus des insecticides, déchets de la civilisation technique à l’assaut de la planète, pollution des mers et de l’atmosphère, pollution radioactive, pillage des ressources des mers…

Plus direct encore (à retrouver d’ailleurs dans ce magazine de Pierre ICHAC de l’INA de mai 1965)…

Une confiance aveugle en notre technicité nous a poussés à détruire volontairement tout ce qui est encore sauvage dans le monde, et à convertir tous les hommes au même culte de la mécanique. Notre ambition est de faire des Pygmées et des Papous des adeptes de notre civilisation « occidentale », convaincus que la seule manière de concevoir la vie est celle des habitants de Chicago, de Moscou ou de Paris. Les historiens du futur décriront peut-être la civilisation technique du XXe siècle comme un cancer monstrueux qui a failli entraîner l’humanité à sa perte totale. L’homme est apparu comme un ver dans un fruit, comme une mite dans une balle de laine, il a rongé son habitat en sécrétant des théories pour justifier son action.

Certains philosophes ne craignent pas d’affirmer que l’humanité fait fausse route. S’il ne nous appartient pas de les suivre, nous pouvons néanmoins affirmer avec tous les biologistes que l’homme a fait une erreur capitale en croyant pouvoir s’isoler de la nature et ne plus respecter certaines lois de portée générale. Il y a depuis longtemps divorce entre l’homme et son milieu. Il convient, même si cela coûte à notre orgueil, de signer un nouveau pacte avec la nature nous permettant de vivre en harmonie avec elle. Quelle que soit la position métaphysique adoptée et la place accordée à l’espèce humaine, l’homme n’a pas le droit de détruire les autres espèces.

Et pour en revenir aux butineuses…

Il faut avant tout que l’homme se persuade qu’il n’a pas le droit moral de mener une espèce animale ou végétale à son extinction, sous prétexte qu’elle ne sert à rien. Nous n’avons pas le droit d’exterminer ce que nous n’avons pas créé. Un humble végétal, un insecte minuscule, contiennent plus de splendeurs et de mystères que la plus merveilleuse de nos constructions. Le Parthénon ne sert à rien, Notre-Dame de Paris est complément inutile, en tout cas mal placé. On demeure confondu devant la négligence des technocrates qui laissent subsister des monuments aussi désuets et anachroniques alors qu’on pourrait faciliter la circulation et aménager des parkings. L’homme pourrait refaire dix fois le Panthénon, mais il ne pourra jamais recréer un seul canyon, façonné par des millénaires d’érosion patiente, ou reconstituer les innombrables animaux des savanes africaines, issues d’une évolution qui a déroulé ses méandres sinueux au cours de millions d’années, avant que l’homme ne commence à poindre dans un obscur phylum de Primates minuscules.

Cette vision de Dorst se retrouve également dans un album de Jacques Martin, L’Apocalypse paru début 1987

Pour mémoire, page 36…
Pour mémoire, page 36…

Bon, il n’est plus question désormais d’attendre (quoi d’ailleurs…?!) mais d’agir. Si les abeilles ne sont plus au rendez-vous, c’est bien que quelque chose déconne, non…?

Existe en version numérique disponible sur iBooks (via le store) ou Kindle…
Existe en version numérique disponible sur iBooks (via le store) ou Kindle…

NB : le livre de Jean Dorst est à nouveau disponible dans une nouvelle édition parue en 2012 et prolongée par Robert Barbault avec un Pour que nature vive… Avec un hommage d’Yves Coppens.

Version numérique sur iTunes ou version papier, c’est à lire…

le 02/06/2012 à 21:00 | .(JavaScript must be enabled to view this email address) à Jean-Christophe Courte | #