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Vers les terres hostiles de l’Ethiopie

Henry de Monfreid

dans ancres | lire
par Jean-Christophe Courte

Ma propre connaissance de ses écrits était jusqu'à présent fort réduite, entre souvenirs d'une série télévisuelle (aventures en mer rouge me semble-il), quelques lectures d'enfance et cet ouvrage de photos chroniqué sur urbanbike.

Je suis enfin tombé sur cet ouvrage qui était entassé dans des piles de cartons chez mes parents, environné d'écrits de bien moindre facture (sic !). J'avais été alerté par une lointaine parente (…merci Claude) qui leur avait offert, il y a fort longtemps, et qui souhaitait savoir si je l'avais aperçu dans le désordre de la bibliothèque familiale.

Après avoir déplacé et regroupé toutes les caisses dans le salon, j'ai fini par trouver deux ouvrages de Monfreid dont celui-ci dédicacé à son ami Robert Richard. Hormis la signature vive et la date (29/11/1934), je me suis étonné que jamais ces livres ne m'aient été proposés à lire quand j'étais mouflet.

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Bref, à quasi 60 piges, me voilà entraîné sans retenue dans la traversée sur le Chenonceau à destination de Djibouti. C'est un homme mûr, pas le bienvenue en Egypte ni en Ethiopie, qui écrit avec un mordant, un humour, un cynisme épatant.

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À propos du titre de cet ouvrage : en introduction, Monfreid explique que ce n'est pas lui qui a choisi ce titre mais pourquoi la rédaction du Petit Parisien le lui a proposé. Il faut se souvenir que l'auteur a toujours été très attaché à cette partie du monde et qu'il y a vécu nombre d'aventures. Et il est vrai que ce titre connote un peu trop le sujet alors que c'est nettement plus fort que cela…

En fait, et c'est le paradoxe, c'est un bouquin épatant qui fait le point sur sa vie aventureuse et éclaire bien des facettes tant de l'Ethiopie profonde que de l'auteur. Il est accompagné tout au long de ce récit par un jeune européen qui pourrait être le lecteur lui-même, vous…

Sa vision des passagers, sa profonde sympathie pour les Somalis (descriptions réjouissantes des religieux abyssins revenant de Jérusalem) comme pour les mécaniciens tapis au fond des machines du bâtiment font que rien de ce qu'il écrit n'est décoratif, inutile, accessoire.

Monfreid est précis, sans illusions sur la nature humaine, lâche quelques informations que le lecteur peut saisir s'il est attentif. Et son récit, incroyablement moderne, vous entraîne. Je me suis ainsi retrouvé 50 pages plus loin alors que je pensais juste balayer du regard la préface.

De plus, lire les conditions de vie des quatrième et troisième classes alors qu'il fait 32°C dans ma cambuse était parfaitement raccord (35° dehors)…!

Non, impossible d'échapper à ses anecdotes captivantes.

D'ailleurs, à l'attention de Hugues, ce paragraphe sur son train !

Quand les ingénieurs Illg et Chefneux montrèrent pour la première foule téléphone à Ménélik, ce monarque m'en conçut aucune admiratif pour le génie de notre race. Ne voit-on pas journellement, disait-il.es paysans gallas crier les nouvelles du haut d'une montagne et se faire entendre de tous à deux lieux à la ronde. Avec les téléphone, les paroles, au lieu de partir dans tous les sens, sont attachées sur ce fil qui les conduit où on veut. C'est la différence du cheval sauvage et du coursier bien dressé.
Cependant, les paroles sorties de cette petite boîte lui inspiraient une sorte de méfiance et de crainte que l'air réprobateur du clergé, présent à l'expérience, ne faisait qu'augmenter. Illg crut voir dans l'émotion du monarque un étonnement pour la merveille qu'il avait sous les yeux, êtes sentait très fier d'en avoir imposé à un si grand roi.
Ménélik remarqua ce sourire satisfait et ses petits yeux pétillèrent de malice :
— « Puisque tu es assez adroit, lui dit-il, pour faire parler une si petite boîte, tu dois être capable de me faire une paire de souliers pareils aux tiens, on va te donner du cuir préparé et, demain, j'entends mettre ces chaussures pour aller à l'église. ».
On comprend l'embarras, il n'y avait rien à objecter, la moindre hésitation perdait tout le prestige des Européens.
Illg et Chefneux collaborèrent toute la nuit ; ils furent obligés démonter un de leurs souliers pour voir comment la chose était faite. Ils en extrayirent des pièces détachées et parvinrent à reconstituer un rudiment de chaussure fait avec le cuir donné par le roi.
Ménélik garda ces souliers en souvenir de cette malicieuse épreuve, et peut-être la bonne grâce et l'ingéniosité de Chefneux et de son ami pour s'en tirer avec honneur, leur valut-elle la confiance de l'empereur et la favorisa pour obtenir la concession de notre chemin de fer actuel, fort disputée à l'époque par l'Italie et l'Angleterre.

Voilà, ce bout de texte résume assez bien le talent de compteur de Monfreid et je me réjouis de le découvrir aussi tardivement en démarrant par ce livre qui n'est pas qu'une simple aventure.

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Vers les terres hostiles de l'Ethiopie.
Henry de Monfreid.
Grasset (30 août 1933) avec 69 illustrations et photographies

Je découvre que ce récit existe désormais en ePub et sur le store de l’iPad. Et bien d'autres encore…

Note de fin : pour le fameux train et la ligne de chemin de fer dont Monfreid nous décrit les discussions à propos du tracé et le déroulement du voyage entre Djibouti et Diré-Daoua, vous devez vous plonger dans le livre rédigé par Hugues sur cette incroyable histoire…, relire cette ancienne chronique d'urbanbike. Je ne vais pas rentrer dans le détail mais sachez qu'Yvon, Hugues et moi-même sommes sur les traces d'Alexandre Marchand a qui nous devenons nombres de photographies et c'est Hugues qui même l'enquête que vous pouvez suivre — et appuyer par vos témoignages — sur son blog. Jusqu'à retrouver le boîtier utilisé, une Spido Gaumont 9×12

Pour finir : en allant chercher quelques provisions, je tombe sur un jeune caissier en train de lire le meilleur des Mondes entre deux clients dans la boutique quasi déserte… On discute et je découvre qu'il est fou de Monfreid, qu'il vient de s'offrir le livre de photos cité en préambule… Lumineux hasard…!

le 04/08/2013 à 06:00 | .(JavaScript must be enabled to view this email address) à Jean-Christophe Courte | #