IA et métiers créatifs
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par Jean-Christophe Courte
Suite à une mauvaise manœuvre de ma part (…oui, je suis distrait et cela ne s’arrange pas !), j’ai contacté par téléphone une ancienne connaissance mercredi.
C’est une graphiste et photographe de talent avec laquelle je correspondais naguère quand j’étais en activité.
Nous avons discuté comme si nous nous étions quitté la veille (bon, j’ai dû la saouler avec mes vannes à deux balles).
Rapidement, après avoir appris que l’éditeur pour qui nous bossions l’avait dégagée, nous avons abordé LE sujet qui interpelle tous les professionnels de l’image, à savoir l’IA.
Il se trouve qu’un autre de mes amis graphistes a fait le choix (depuis plus d’une année) de recourir quotidiennement à ces outils mais sans freiner pour autant l’érosion de ses contrats avec ses clients éditeurs.
En aparté, je dois préciser que ces deux là sont de vrais créatifs avec une très bonne formation classique et une excellente capacité à répondre aux demandes les plus subtiles, là où je bricolais des solutions utilitaires sans génie …!
Les constats sont les mêmes. :
- imperceptiblement mais sûrement, les clients réduisent le forfait des missions pour limiter le budget de leurs ouvrages (…phénomène dont j’ai été également victime en acceptant de travailler au forfait) ;
- les briefs sont de plus en plus imprécis et flous, ce qui permet de refuser des propositions graphiques irréprochables et travaillées (aucune remise en cause de la part du client).
- Sans oublier cette demande extravagante qui est de demander de choisir dans un paquet de propositions, chaque proposition étant une création complète.
- Le tout dans des délais de plus en plus serrés.
- Et n’évoquons pas même les délais de règlement …assortis à des clauses de cession de droits de leurs créations.
Avec l’IA, un nouveau cap a été franchi vu que cela ne demande même plus de savoir mettre en pages ou dessiner, connaître sur le bout des doigts la trinité de la suite Adobe (illustrator, indesign et photoshop) !
Peu à peu, ces créatifs sont remplacés par des assistants encore plus mal payés, voire des stagiaires issus de filières graphiques à qui l’on demande des roughs comme naguère.
Sauf que les instructions de génération du visuel avec l’IA sont récupérés par le client (…qui se forme ainsi à bon compte) puis modifiés à sa guise après avoir remercié ces gens qui coûtent un …pognon de dingue.
Tenir ou se reconvertir ?
Ces deux professionnels (…. discussions séparées à quelques mois d’écart) se demandent s’ils vont survivre a terme vu que l’outil de création change de main.
En résumé, ce ne sont plus des professionnels formés aux arts graphiques et nourris d’histoire de l’art, ce ne sont plus les créatifs qui proposent des projets puis les peaufinent mais bien les clients et décideurs qui prennent le contrôle de ces outils, génèrent les images.
Ces outils ne leur demandent aucune capacité en dessin ou même en cadrage mais juste (…je grossis volontairement le trait) de trouver/récupérer les bons mots-clés pour générer les images qu’ils trouvent, de facto, séduisantes.
Sans exigence, l’IA l’emporte
C’est rapide, des essais multiples sont possibles dans un laps de temps réduit et même si la qualité finale est uniforme, ça a le mérite de coûter moins cher, d’être tendance.
À qualité graphique inégale, c’est l’IA qui gagne à tous les coups.
Tant pis pour l’uniformité, l’impression de déjà vu, c’est dans l’air du temps. Et ça dépote sans effort.
Côté créatifs, ça devient compliqué de trouver de nouveaux clients qui prennent conscience que produire un visuel demande un réel savoir-faire.
D’autant que nombre de ces derniers, étonnement, ne sont plus aussi exigeants : aucune appétence pour l’autocritique !
Tels des ados qui succombent à la dernière mode, nombre d’entreprises s’engouffrent dans l’IA avec l’illusion de pouvoir se passer, ici des illustrateurs ou photographes, tout en étant plus performantes…
Et au final se privent de talents et d’expérience.
Une révolution chasse l’autre…
Je rappelais à cette amie que ce qui se passe actuellement me mets en mémoire une période lointaine (40 ans…?) où nous réalisions des slides pour des présentations visuelles1. Avant d’être remplacés par nos propres clients qui découvraient …PowerPoint.
Ce qui nous avait frappé alors était l’uniformité des présentations qui a résulté de cette prise de contrôle des outils par ces nouveaux opérateurs. Rien ne différenciait une présentation de telle boîte de conseil de ses concurrents !
Nos clients consultants étaient ravis de prendre les commandes même s’ils passaient plus de temps à mettre en forme leurs slides que de travailler le fond de leur mission.
Et ravis d’avoir éliminé un facteur de coût, ces business graphics dont nous faisions partie.
Heureusement, certains ont compris qu’ils faisaient fausse route, cela nous a donné juste le temps de nous reconvertir.
Méme si cet engouement risque de se tasser, il y aura une palanquée de victimes : je me souviens de la disparition des photo-compositeurs puis, dans la foulée des photograveurs puis des flasheurs, de l’impact d’applications comme PageMaker, XPress, Photoshop ou illustrator. Je n’évoque pas même le format PDF, des premiers échanges via numéris puis internet, la fin des sociétés de coursiers…
L’ histoire se répète.