Vieillir chez soi | 4
Salle d'attente ou lieu de vie…
dans
dans mon bocal |
groummphh |
vieillir
par Jean-Christophe Courte
Avant, on nommait cela pudiquement une maison de retraite voire un mouroir en langage courant. À priori, tous ont bien la même fonction, celle d'accueillir des gens âgées et dépendants. Mais il y en a de plusieurs sortes et à de nombreux tarifs. C'est un peu comme des hôtels, la palette est large et démarre avec des établissements franchement médiocres comme le rappelle dans son livre (chronique sur urbanbike), "Maman, est-ce que ta chambre te plaît ?" William Réjault, pour finir par des lieux bien gérés, propres et récents. Adaptés quoi…
Mon père a pas mal de chance, il se trouve dans un EHPAD public neuf avec un équipement certes impersonnel mais fonctionnel. Il est entouré d'une très chouette équipe qui l'a bien boosté : entre son admission pour Alzeihmer caractérisé et maintenant, ce n'est plus le même homme. Il a retrouvé ses fonctions intellectuelles et mentales sauf qu'il est nettement recommandé qu'il reste dans cet endroit où il est soigné, nourri, lavé et accompagné.
Avec la TNT, il accède depuis peu à des chaînes de qualité comme la 5 ou ARTE, ce qui, pour un gars cultivé qui a beaucoup bourlingué, est vital. Je ne pense pas qu'il serait dans le même état avec juste l'accès à des chaînes de divertissement et de la pub pour des couches confiance…!
Je vous rassure de suite, nous avons tous de bonnes chances de finir comme lui, dans un EHPAD vu les progrès de la science et le confort dont nous bénéficions désormais dans cette partie du monde. Bon, le point déterminant sera le prix de la prestation.
Bref, des personnes âgées, il va y en avoir de plus en plus. Bonne nouvelle, non…?!
La première erreur que nous commettons est de croire que nous nous en tirererons mieux que les autres. Du coup, nous ne faisons pas grand chose pour nous y préparer…! Rares sont ceux qui ont simplement réfléchi à l'accessibilité de leur lieu de vie. On verra plus tard ! On a le temps. Bref, les accidents de la vie, c'est pour les autres.
Ma chance — façon de parler — a été de perdre l'usage de quelques doigts de ma main gauche, de découvrir comment cela fait de vivre avec une main en rade… Se doucher et bien d'autres situations de la vie courante se transforment en parcours du combattant. J'ai pas récupéré ma main entièrement mais j'ai désormais un peu de vécu.
Au risque de ma répéter et de déranger, nous sommes tous concernés indirectement par ce qui se passe actuellement dans les EHPAD d'autant que nous avons de grandes chances de nous retrouver pensionnaires de ces établissements plus tard. À notre tour… Et si nos retraites nous le permettent, CQFD. Mais ceci est une autre histoire.
Dans l'EHPAD paternelle, il y a un vaste hall d'entrée avec vue tristoune sur un jardin planqué derrière un parking. Le jardin est encore en friche mais cela pourrait se transformer en un espace plus agréable à contempler en lieu et place de ce grand talus herbeux sans âme.
La première fois que je suis allé la visiter, j'ai été très intimidé par cet espace en arrivant. Enfin, par ceux qui le peuplaient et que je retrouve à chaque visite. C'est un lieu silencieux avec quelques chiches décorations aux murs et, surtout, une incroyable concentration de fauteuils roulants.
Dedans, une majorité de vieilles femmes qui se réconfortent par leur seule présence. C'est un peu comme si vous arriviez du monde des vivants pour vous retrouver nez-à-nez avec ces visages silencieux — pas hostiles, justes graves — plongés dans l'attente.
Des personnes échouées dans une sorte de salle attendant des trains qui ne passeront jamais. Pas de musique, pas de télévision que personne ne regarderait d'ailleurs. Rien que quelques plantes vertes toutes aussi immobiles. Et l'odeur tenace de désinfectant.
À force, je me suis blindé car ce n'est pas rien de traverser cet ensemble compact de vieilles personnes. Elles savent bien de qui vous êtes le fils et vous saluent gentiment. J'en reconnais quelques unes mais mon salut est pour tout le groupe. Le plus lourd, c'est quand je repars suivit par toutes ces paires d'yeux… Je repars vers l'animation, la vie, mes mômes. Et ces femmes, elles ont eu aussi une vie, des enfants, des responsabilités, elles ont aimé, bougé. Ici, c'est le mot "fin" qui est suspendu au dessus de leur petit groupe solidaire.
Alors, à contempler cette cohorte de chaises roulantes, de beaux visages usés, éteints, on se met à rêver à d'autres solutions. En discutant avec le médecin en charge de mon père, j'ai été agréablement surpris d'apprendre que l'EHPAD se posait les mêmes questions et envisage d'aménager un espace extérieur en contact avec la nature.
Là, je me suis mis à phosphorer… Imaginez un parcours avec une revêtement de sol compatible avec une circulation en fauteuil roulant, des alvéoles circulaires régulièrement réparties le long de ce parcours pour y stationner à deux fauteuils et assortis de bancs pour les visiteurs… Imaginez le long de ce parcours des plantes, des végétaux colorés, odorants quasiment à portée de regard et de nez, de doigts… Et ce à hauteur de fauteuil, CQFD. Imaginez ensuite que ces circulations soient protégées de la pluie mais aussi, par un jeux de claustras amovibles, des rayons trop violents du soleil en été.
Et puis baladez-vous par la pensée, soit en fauteuil, soit comme visiteur d'un membre de votre famille, dans ce vaste espace vert et venir y lire, y regarder la nature, discuter.

Un peu plus stimulant que d'attendre indéfiniment, au bout de sa branche, le moment de partir…?