Keynote, arrière-petit-fils d’une Composphère… | 1
Vie antérieure…
dans
groummphh
par Jean-Christophe Courte
J’ai éprouvé un véritable sentiment de nostalgie à la lecture de l’excellent papier écrit par François Cunéo sur Keynote 1.1.1 en novembre 2003 (voir sur le site de CUK à cet endroit). L’évocation de cet outil que je n’utilise pas autant que je le souhaiterais m’a renvoyé quasiment 30 ans en arrière….
Retour sur image(s).
Pour situer les idées, cher lecteur de MacDigit — Note pour mémoire : le papier est sorti sur MacDigit la première fois en 2003 — ce site a cessé ses parutions en juin 2006 et j’ai rapatrié quelques billets sur urbanbike par la suite — disons d’emblée que les présentations visuelles à base de graphiques et d’organigrammes sont utilisées par les sociétés de conseil depuis, grosso modo, les années 1950.
Elles ont rapidement donné lieu à la création en interne de véritables départements dédiés à leur production dans les plus grosses «Top Ten» comme McKinsey & Company, Booz-Allen & Hamilton, etc.
L’objet de ces structures étant de décharger les consultants de la partie graphique, en les laissant essentiellement plancher sur la stratégie, décortiquer le cœur de métier du client, les opportunités de croissance, les nœuds de productivité, mouliner chiffres et données. Bref, leur laisser faire leur «job» de consultant.
Un outil de communication, certainement pas un gadget
L’équipe des business graphics était à la disposition des consultants et chefs de projet et ce, de jour comme de nuit (si, si, j’ai souvenir d’avoir terminé un job à 3 heures du matin et, au moment de rentrer me coucher, être tombé sur deux gars qui me demandèrent si j’étais d’attaque pour une nouvelle charrette), jours fériés ou non, pour réaliser des rapports finaux à destination des clients ou une présentation visuelle haut de gamme, moment clé pour faire passer les messages ou recommandations, souvent lourds de conséquences.
Bon, n’exagérons pas, tout cela fonctionnait avec un planning mais régulièrement, on arrivait à des périodes «critiques» où tout dérapage mettait la pression.
Car un des problèmes majeurs d’une société de conseil est de faire passer correctement son analyse de la situation, ses points de vue, flinguer les partis pris parfois erronés du client, les difficultés qui l’attendent et surtout la stratégie à mettre en œuvre.
C’est pourquoi ces moments de communication à l’attention exclusive du client sont des exercices délicats et la réalisation d’un rapport ou d’une présentation bien structuré, avec des annexes solides, est toujours un événement clé.
C’est aussi l’un des rares instants où le client a une vision complète des réponses aux questions qu’il a posées à la société de conseil et pour lesquelles il paye une note conséquente !
Plongée dans un passé récent…
Or, il y a peu, ces services de business graphics ont littéralement inventé toutes les techniques des présentations que nous connaissons maintenant. Tout ce matériel a été imaginé en une trentaine d’années et PowerPoint et consorts ne font que modéliser ce qui a été au départ des bricolages réalisés avec des feuilles de papier…
Et je peux vous assurer que ces présentations, faites main, avaient de la gueule… Bien plus que certaines qui nous sont présentées aujourd’hui, standardisées et interchangeables. Car, si ces départements existent toujours actuellement au sein de ces sociétés, de plus en plus de consultants réalisent eux-mêmes leurs présentations avec leurs outils informatiques et des templates (modèles) “maison”.
Cette dernière tendance m’inspire beaucoup de regret quand je découvre la pauvreté de certaines présentations expédiées au client final. Remarquez que je n’ai fait aucun commentaire sur ce point même si je n’en pense pas moins (pourquoi, ça s’entend tant que ça ?!).
Bref, tout était à concevoir alors, que ce soit le séquençage d’une présentation en plusieurs parties, le rappel visuel en haut des slides1, les résumés intermédiaires, l’idée de ne mettre d’un seul message par page — perspective qui n’a pas été toujours au goût de certains consultants (!!), etc.
Sans oublier les illustrations faites pour l’occasion, les overlays (décomposition d’une vue en plusieurs étapes pour la construire lors de l’exposé), etc.
Nous sommes passés des premiers rapports papier à l’italienne (comprendre… format paysage) aux transparents noir et blanc, puis couleurs, puis ensuite aux présentations 35 mm couleur et enfin à la vidéo projection en très peu d’années.
Ces business graphics ont recruté tous azimuts : parmi les secrétaires pour leur capacité à saisir du texte sur une machine à écrire mais également parmi des illustrateurs, des graphistes et même des étudiants en architecture ! Tous ces gens s’auto-formaient et j’ai appris mon «métier» de l’excellent Marcel Dunand qui lui même l’avait étudié avec Gene Zelazny…
Fabrication à la main !
À l’époque, les documents étaient réalisés à la main, sur des tables d’architecte inclinables et à contre poids. Nous utilisions des stylos à encre de chine d’épaisseurs différentes, de marque Rotring, Faber-Castell ou Graphoplex2.
Image trouvée récemment.
Le support, au format Letter ou A4, était un papier blanc enduit de kaolin pour permettre les modifications par grattage.
C’est pour cela d’ailleurs que beaucoup de personnes employées par les cabinets de conseil étaient des étudiants en architecture, habitués à monter les graphiques au crayon bleu (couleur non prise en compte par la photocopieuse lors du balayage du document), à manier l’encre de chine, à jouer de la lame de rasoir ou du cutter pour placer de la trame adhésive (les fameuses zipatone) sur les différentes séries des graphiques ! Certains titres étaient aussi montés avec des lettres transfert comme celles de Letraset ou Mecanorma.
Quand aux textes des tracés, ils étaient saisis à la machine à écrire (en Orator ou en Prestige Elite) avec deux types d’appareils, celles que vous connaissez pour en avoir croisé et des monstres (des Varityper) qui autorisaient des tailles plus importantes…
Bref, c’était le temps de la Gutta, une colle liquide que l’on appliquait au pinceau avec délicatesse car les documents produits étaient multicouches !
Entre le croquis d’origine, les modifications graphiques, les superpositions de papiers pour les textes, on en arrivait à produire de véritables mille feuilles qu’il fallait raccorder avec cette colle (bien avant les colles repositionnables en bombe de chez 3M, par exemple). Les débordements se retiraient alors avec un morceau de crêpe, type semelle de chaussures clark’s…
À la fin, ce qui masquait tout cela, c’était “LA” photocopieuse de chez Xerox ou IBM… Le mille-feuille revenait à une épaisseur normale puisqu’il était reproduit en grand nombre pour la réalisation du rapport au client !
Quand cela ne passait plus (trop d’objets empilés !), on realisait alors un Copyproof (Agfa) avec un banc de reproduction.
Cette énorme caméra équipée de deux rampes lumineuses de 1200 Watts, permettait de surcroît d’agrandir ou de réduire sans trop de perte des dessins au trait… En ce temps-là, pas si lointain, un graphiste en présentations visuelles devait tout savoir faire et accessoirement s’abstenir de dormir, les charrettes s’enchaînant les unes derrières les autres.
Transparents, le must des années quatre-vingt
Aujourd’hui, une présentation visuelle, c’est quelque chose de projeté via un vidéo projecteur ou un écran. Pourtant, dans les années quatre-vingt-dix, c’était des diapositives qui, elles-mêmes, succédaient aux transparents !
En effet, il y a eu trois types de présentations qui se sont succédés en se chevauchant au niveau de l’usage… Le transparent fut l’outil le moins sophistiqué car il n’autorisait généralement qu’un fond… transparent, c’était une sorte de réplique du document source mais avec quelques touches de couleurs !
En effet, une fois la photocopie effectuée, l’un des moyens les plus économiques et rapides de présenter était de réaliser un «transparent» (de chez 3M) à partir de cette photocopie !
Nous utilisions des grosses machines (nos fameuses machines à harengs) où la photocopie était introduite en même temps que le transparent ! À la sortie, les deux éléments étaient collés l’un à l’autre et il fallait régler subtilement la machine pour obtenir des noirs profonds sur les films.
La mise en couleurs se faisait au cutter toujours avec un nombre réduit de films de nuances lumineuses. Le seul risque était une mauvaise découpe au cutter qui se voyait nettement ou encore des traces de doigts. Ensuite le transparent ainsi colorisé était monté sur un cadre en carton.
Cadre sur lequel le consultant griffonnait quelques notes à relire au moment où il posait son visuel sur le rétroprojecteur… Une variété d’antisèche, quoi !
Composphère
Un jour, IBM sortit la Composphère. Imaginez une énorme machine à écrire noire, totalement électrique et capable de déposer une typographie de qualité imprimerie sur ces mêmes feuilles de papier.
C’était une avancée fabuleuse : plus de textes baveux ou flous, enfin une typo nette ! Cette machine permettait de saisir un texte à blanc pour visualiser son encombrement, de changer de police de caractère via les fameuses sphères, chaque sphère correspondant à une typo dans une taille spécifique. Et surtout la frappe s’effectuait avec force sur un ruban de matière synthétique qui venait se coller (je simplifie) sur le papier. D’où ces caractères superbes alliés à une plus grande richesse de signes. J’ai essayé de retrouver, sans succès, la photo de cette machine sur internet, niet ! (NDLR si une bonne âme à une photo, nous sommes preneurs)
Suite à cette petite phrase, j’ai reçu des photos réalisées par Gérard qui ont donné lieu à ce billet assez complet en mars 2009 Que Gérard soit béni jusqu’à la 9° génération…!.
Bon, l’usage de la Composphère était assez complexe car il fallait, lors de compositions raffinées, changer en permanence de boule, chaque boule correspondant à la typo complète dans une unique graisse (vous suivez ?).
Avec, en contrepartie, un système d’enclipsage qui détruisait vos ongles en moins de deux…! La première version de la Composphère avait peu de mémoire, juste la mémoire d’un bon paragraphe.
Puis IBM inventa la Composphère à carte magnétique ! Celle-ci permit dès lors d’effectuer des justifications parfaites et j’ai le souvenir d’un livre auquel j’ai participé, entièrement réalisé ainsi et monté à la fin toujours sur du papier, colonnes de textes et dessins “grattés” au rapido…
Seconde partie Troisième et dernière partie
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Slide : ce mot passe-partout est utilisé aussi bien pour parler d’une page que de sa transcription en diapo projetée sur un écran… ↩
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Il semble néanmoins que tous ces matériels très performants aient quasiment disparu… J’ai trouvé ceci pour montrer à quoi cela ressemblait : http://www.rotring.de/ ↩